L’histoire des théories linguistiques a
connu en Europe un développement important dans les trente dernières
années. En France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Grande Bretagne
des équipes se sont constituées, des revues sont apparues, consacrées à la
recherche factuelle et théorique, des colloques internationaux sont
organisés et les échanges sont réguliers.
Pourtant, autant la recherche a su
s’organiser, autant la pénétration d’un enseignement en histoire de la
linguistique dans l’enseignement universitaire reste faible.
Partout en Europe, pourtant, une nouvelle génération de
chercheurs est en train de se former. De plus en plus, les établissements
d’enseignement supérieur, les institutions et les responsables de la
formation des maîtres prennent conscience de l’importance d’une
connaissance précise et rigoureuse de l’histoire et de l’épistémologie
des savoirs dispensés. C’est le cas en France où l’on réfléchit
actuellement à la part à réserver à un enseignement de l’histoire et de l’épistémologie
des disciplines enseignées dans la formation des maîtres du premier et du second
degré.
L’histoire des idées linguistiques montre bien que la
grammaire et la linguistique se sont constituées dans des traditions
de longue durée et par des échanges incessants au niveau européen au moins.
Dans le contexte actuel, il nous semble donc à propos et légitime de
proposer une réflexion de haut niveau, à la fois sur des résultats déjà
synthétisables et sur des pistes d’avenir dans une collaboration largement
européenne (Allemagne et Italie principalement).
A) Objectifs stratégiques de l'école :
La confrontation des expériences des
étudiants engagés dans la recherche demande à être organisée au niveau
européen. D’autant, on le sait, que la demande de formation en histoire des
disciplines se précise et s’accroît (communautés savantes aussi
bien que formation des enseignants).
les contacts des historiens de la linguistique avec les linguistes demandent à être
approfondis.
Les relations avec les disciplines connexes (histoire, histoire des sciences,
philosophie) également.
Les résultats importants de ce domaine en croissance rapide doivent rencontrer les besoins de formation des chercheurs et des enseignants.
B) Objectifs de formation :
Le « dispositif école d’été » permet, par son caractère
interactif, à la fois la diffusion de connaissances et la production
commune de savoirs nouveaux. En effet, grâce à la participation
active et permanente des organisateurs, intervenants et participants,
la réflexion autour des grands thèmes choisis : constitution des
savoirs, invention, tradition… devrait s’enrichir notablement
et pouvoir faire à son tour l’objet d’une diffusion à un
public plus large sous forme d’ouvrage et de support multimedia.
GRANDS AXES DU PROGRAMME :
Cette Ecole sur les savoirs relatifs au langage voudrait
attirer l’attention et éveiller l’intérêt des participants sur
l’inscription des savoirs grammaticaux et linguistiques dans le temps,
l’espace et sur toutes les questions qui concernent la circulation,
la transmission autant que la constitution d’un savoir
métalinguistique.
a) La première
journée devra permettre de préciser le degré de pertinence et les
limites de la notion de tradition. Cette notion s’est imposée en
histoire des sciences du langage sitôt qu’il s’est agi de prendre en compte
la « longue période » et d’envisager un dépassement de l’occidentalo-centrisme
caractéristique des travaux antérieurs. La première journée de l’Ecole est
consacrée plus particulièrement à ce thème qui rencontre une problématique
classique en histoire des sciences (continuité/discontinuité) et qui est
illustré ici par deux exemples traités parallèlement: peut-on parler dans
le même sens d’une tradition grammaticale occidentale, et d’une tradition
arabe ? Existe-t-il des cadres anthropologiques invariants présidant à leur
développement ? Le cas le plus courant n’est-il pas celui des croisements,
du métissage des traditions ? Existe-t-il des traditions cachées (non
apparentes) ? L’idée de tradition implique une temporalité homogène, celle
de la transmission ; de quoi est faite cette homogénéité ? Quelle
validité accorder à la notion de fondateur (deux exemples empruntés
à deux périodes de la tradition occidentale), à celle d’Ecole ?
b) La seconde journée sera consacrée à trois
problèmes distincts, mais reliés entre eux, concernant
cette catégorie de tradition :
- Sur le long terme, au sein d’une même tradition,
on voit apparaître, s’estomper et réapparaître
des thèmes théoriques dans des contextes scientifiques
différents. S’agit-il des mêmes thèmes
? Qu’est-ce qui préside à l’oubli et
aux résurgences dans les traditions ?
- Dans l’espace et le temps, les traditions autochtones différentes
ne sont pas « étanches ». Comment se « traduisent-elles » les
unes dans les autres ?
- Enfin, si la notion de tradition suppose cumulativité,
conservation de l’acquis et transmission, le propre des traditions
de savoir (versus traditions religieuse, culturelle, artistique...)
est la possibilité de « l’invention ».
Qu’en est-il de l’invention dans les traditions linguistiques
?
c) Le rôle capital joué par l’écriture dans
l’émergence d’une conscience métalinguistique invite à se
pencher sur la nature et les fonctions de la mise en forme matérielle
des savoirs. La troisième journée y sera consacrée à travers
l’examen du rôle joué par l’exemplification (une
certaine disposition des « données »), par la rupture de l’ordre
discursif linéaire d’exposition (dispositifs de décontextualisation
des « faits » dans la mise en forme paradigmatique et tabulaire)
etc. La mise en circulation de manuels, l’effort de diffusion
et de reformulation des savoirs apparaît très vite dans les traditions
: selon quelles contraintes ? Avec quels effets ? Quel rôle,
enfin, l’histoire de la discipline joue-t-elle dans la
prise de conscience d’une identité disciplinaire ? Dans
la production des connaissances ?
Les deux matinées suivantes seront consacrées à des
séminaires en assemblée plénière.
La première vise à remettre en cause une idée popularisée dans les années
60 concernant la « scientificité » des savoirs linguistiques : face à la
diversité des langues, on a voulu opposer une approche philologique,
liée à la grammaire comparée du 19e siècle, à une approche « vraiment
scientifique », celle des typologues-linguistes. Un typologue et un
comparatiste s’attacheront à souligner les apports mutuels des deux
approches, en particulier dans les reconstructions.
La seconde matinée sera réservée à la confrontation d’un anthropologue,
d’une linguiste brésilienne et d’un philosophe du langage spécialiste de
Humboldt pour dégager la dimension anthropologique du processus technique
de grammatisation des langues.
Sans doute, aucune de ces thématiques n’est-elle
absolument propre aux savoirs relatifs au langage. Ce qui est nouveau,
pourtant, c’est qu’on puisse aujourd’hui les envisager dans ce domaine. La
collaboration avec des chercheurs spécialistes d’histoire d’autres
disciplines trouve ainsi sa signification : l’émergence et le mode de
développement historique des savoirs relatifs au langage ne font pas
exception dans l’histoire générale des savoirs. Ils possèdent pourtant
aussi une spécificité différentielle qui les identifie.
L’organisation de cette Ecole d’été vise à faire connaître et à mettre à
l’épreuve ce double résultat. |